Délicatement, ta mère tournait les pages de ses albums photo qu'elle s'évertuait à tenir à jour depuis sa rencontre avec ton père. Tu les trouvais un peu niais tes parents. Ils avaient toujours été plus ou moins dans leurs trips hippies, à voyager, à faire la fête, à prendre le temps de tout faire. Même quand le monde s'était effondré, ils poursuivaient leur chemin sur les routes avec insouciance.
« J'aime pas voir ma tronche. » Tu articulais, pendant que tu te grattais nerveusement la main. Ta mère t'offrit un sourire paisible et continua de feuilleter les souvenirs, nostalgique.
« Ton père et moi, on a traversé le continent d'Est en Ouest. » Tu soupiras. Tu la connaissais déjà la vieille histoire qui voulait qu'il l'ai mise enceinte à l'arrière de la fameuse voiture. Ce tas de ferraille en avait dû en vivre des trucs bizarres.
« Et puis, on t'a eu, toi, notre petit rayon de soleil. » Tu grimaças, tu n'aimais pas vraiment les surnoms de princesse tout mignons et tout mièvres. Ta mère avait accouché à Atlanta, un mois avant le terme. Sinon, les lumières de Denver auraient certainement été les premières à venir te cueillir dans ce monde.
Au final, vous y étiez arrivés, sain et sauf. Vous aviez eu de la chance. Tout le monde ne pouvait pas entrer dans cette ville. Tu ne t'en rappelais même pas, tu étais trop jeune. Vous aviez eu le droit au confort d'un petit appartement. Tu avais des amis. Tu avais ta petite vie tranquille.
* * *
Clémentine te donna un petit coup de coude dans les cotes, et tu la fusillais de regard en échange.
« Tu regardes encore ton beau brun mystérieux. » Tu soupiras en plongeant ton regard dans ton assiette.
« Non. » Son sourire moqueur se peignit sur son visage.
« Mais si, je t'assure. » Tu n'étais pas particulièrement troublée par le garçon. Tu n'étais pas non plus tombée amoureuse de lui au premier coup d'oeil comme dans les films romantiques. Cet après-midi, deux noms avaient résonné dans les couloirs de ton lycée. Le sien et le tien. Tu ne le connaissais pas, et pourtant vous étiez tous les deux convoqués chez la directrice. Tu sentais que Clémentine rêvait de pouvoir te poser milles questions. Mais tu ne pouvais répondre à aucunes d'entre elles, car toi-même, tu ne savais pas quel était ce lien qui t'attachait au grand brun.
Tu étais arrivée à l'heure, et fixais les implants capillaires de ta directrice du coin de l'oeil depuis plus d'un quart d'heure. Debout à côté de toi, comme une statue vivante, un homme en uniforme t'offrait un sourire forcé. Il n'en pouvait clairement plus d'attendre. Finalement, le brun fit son entrée et s'assit comme si de rien n'était sur la chaise libre.
« Maintenant que Monsieur Jansen a bien voulu nous faire l'honneur de sa présence, nous allons pouvoir commencer. » Elle se racla la gorge et sa main se dirigea vers le mec qui n'avait toujours pas bougé d'un millimètre depuis tout à l'heure, mais dont le sourire avait tout simplement disparu.
« Comme vous le savez, notre école travaille directement en relation avec le WICKED, et ceux-ci ont directement accès à vos résultats. Vos cas les ont fortement intéressés, et ils aimeraient vous voir prendre part à leurs projets. » Tu avais toujours été passionnée par les sciences, et c'est donc avec un immense sourire que tu accueillais la nouvelle. Tu rêvais de pouvoir entrer dans ces laboratoires, de travailler pour eux. Pourtant, le brun flanqua un gros coup de pied dans le bureau de la directrice en jurant. Apparemment, lui, ça ne le branchait pas tant que ça.
* * *
« Syd. » Il articula finalement. Voilà plus d'une trentaine de minutes que tu avais essayé de le cuisiner pour lui faire sortir ne serait-ce un mot de la bouche, mais il semblait avoir décidé que tu ne le méritais pas. Et au moment où tu abandonnais, il t'offrait finalement son prénom.
Ils vous firent descendre de la voiture, et en bonne élève tu saluais tous les gens que vous croisiez avant de te rendre compte qu'ils étaient trop occupés pour ne t'accorder un seul regard.
« Voilà comment ils fonctionnent. » Syd marmonna assez fort pour que tu puisses l'entendre. Tu suivais le guide qui vous expliquait quelles salles vous étaient disponibles, celles qui étaient interdites. Les règles, les dortoirs, les activités. Tu souriais au programme qu'on t'offrait parce que tu avais rêvé de visiter ces locaux. Tu avais rêvé de travailler pour eux.
Finalement, l'agent du Wicked vous désigna une salle où se réunissaient les autres adolescents. Tu offris un petit regard excité à Syd avant d'aller les rejoindre.
* * *
Un agent du Wicked fit irruption dans la salle d'entrainement. Tu courrais sur un tapis roulant depuis une quinzaine de minutes.
« Chanel Rosebury. » Tu ralentissais le dispositif, pour marcher quelques minutes. Cela faisait presque 4 mois que tu vivais ici maintenant, tu savais qu'il ne fallait pas s'arrêter de courir d'un coup, sinon tu étais bonne pour les courbatures pendant au moins deux jours. Tu levais la main et l'agent se dirigea vers toi.
« C'est votre tour. » Tu hochais la tête, les lèvres pincées, en débouchant la bouteille d'eau qui était à ta portée. Tu descendais du tapis roulant, et te rafraîchissais d'un peu d'eau.
« Est-ce que je peux aller prendre une douche avant ? » L'agent hocha la tête.
Tu pris tout ton temps pour rejoindre les chambres et les salles de bain. Et pendant que l'eau ruisselait sur ta peau nue, tu comprenais maintenant pourquoi Syd était arrivé en retard la première fois. Peut-être que lui, savait ce qu'il se passait. Peut-être qu'il avait compris. Si tu avais su, alors tu serais certainement arrivée en retard ce jour où on vous avait convoqués. Pour gagner du temps. Pour retarder l’échéance.
Tu t'habillais rapidement, et rejoignais la chambre de Syd, qui lisait, allongé sur son lit.
« Syd. » « Je sais. » Il te coupa avant même que tu puisses continuer ta phrase. Lui expliquer que c'était vos adieux. Lui dire que tu avais été contente de ne pas te retrouver seule le jour où tu avais fait face à la directrice. Le jour où tu étais entrée dans les locaux de Wicked.
Tu voulais lui dire que ce jour aussi comptait.
Le jour où vous vous disiez adieu.
« Bon, j'y vais alors. » Tu marmonnas, en jetant des coups d'oeil dans le couloir. Tu t'attendais à ce qu'un n'importe quel moment on vienne te chercher.
« On ne se reverra jamais. » Tu articulas avec amertume. Il gâchait totalement le moment. Qu'est ce que ça lui coûtait de montrer un peu d'émotions ? Tu aurais même préféré qu'il te rie au nez. L'indifférence te tuait de l'intérieur. Tu tournas les talons, avant de te manger un de ses autres
« je sais ».
* * *
Tu rampais sur la grille qui s'élevait dans un bruit de ferraille assourdissant. Tu te sentais vidée de tes forces, tu ne pouvais même pas t’accroupir que ton corps frêle s'écrasait sur le fond de la cage hurlante. Allongée sur le dos, ta respiration était saccadée, tu peinais même à déglutir. Un déclic se fit entendre, et la Boîte ralentit. La trappe au dessus de ta tête s'ouvrait pour t'avaler de sa lumière blafarde.
Tu te levais, la main en visière pour soulager tes yeux meurtris par la luminosité. On t'aida à t'extraire de la Boîte pendant que le petit groupe qui s'était amassé, s'empressait déjà de retourner à ses tâches quotidiennes. Tu passais ta langue sur tes lèvres pour les humidifier. Une tape dans ton dos attira ton attention.
« J'te fais faire le tour ? » Tu hochais la tête, sans dire un mot. Honnêtement, tu n'avais aucune idée de ce qui se passait, tu te demandais si tu n'étais pas endormie, si tu étais vivante, si ça se passait vraiment.
« ... et là, c'est le coin des cuistots. » Termina ton guide pendant que perdue dans tes pensées, tu réalisais que tu n'avais pas écouté un traître mot. Elle te dévisagea, et d'un rapide coup d’œil, tu remarquais qu'il n'y avait que des filles ici. Ce qui était plutôt étrange.
« Bon écoute... » Elle reposa sa main sur ton épaule, et naturellement tu te dérobais, tu n'aimais pas beaucoup sa façon de te coller alors c'était la première fois que tu voyais sa tronche.
« C'est quoi ton prénom déjà ? » Tiens, oui, bonne question. Tu fixais le sol, tu cherchais un indice. Quelque chose qui t'aiderait à te souvenir.
« Bon, c'est pas grave. » Elle conclut, ne te laissant même pas le temps de chercher. Cet endroit commençait à t'énerver. Tu ne te sentais pas à ta place, tu les voyais bien ces visages inquiets qui te guettaient comme s'ils étaient effrayés que tu fasses quelque chose de stupide. Tu sentais ces regards glisser partout sur toi pour t'évaluer, te juger.
Ce que tu ne savais pas, c'est qu'ils cherchaient à te trouver ta place, et tel un loup solitaire, tu grognais à la moindre caresse.
« Bon, c'est pas compliqué, pour le moment, on a personne pour s'occuper de la lessive, et ... d'autres trucs, tu verras bien. » Elle te désignait du doigt un petit coin où tu trouvais une bassine en bois, et deux gros blocs de savon. Tu soupirais, et restais assise là. Personne d'autre n'était venu te parler.
* * *
Tu recevais un t-shirt en pleine tronche, pendant que deux filles détalaient en poussant des petits rires niais. Tu râlais, mais tu ne protestais pas. Tu avais mérité ta place de torcheuse. Maintenant, tu ne pouvais t'en prendre qu'à toi-même. Tu ronchonnas, parce que tes mains étaient ridées à force de tremper dans l'eau savonnée toute la journée.
« Pandore ! » Tu levais la tête.
« Apparemment, t'as mélangé les fringues de deux filles, et maintenant, elles sont en train de s'engueuler comme des hystériques. Je sais pas quoi faire, moi. » Tu levais les épaules. Tu lui montras une pile de vêtements qui était pliée quelques mètres plus loin.
« Si elles n'arrivent pas à se mettre d'accord, dis leur que je leur file les fringues qu'on a récupéré sur Gaia avant de l'enterrer. » Tu perforas celle qui venait t'embêter du regard, parce que tu tenais à ton petit calme. Et si ça ne leur plaisait pas, qu'elles s'arrangent avec une des coffreuses, ce n'était pas ton rôle de faire la loi ici.
« Ah. Et si vous me proposez encore une nana toute fragile qui a peur de se casser un ongle, ne m'envoyez personne du tout. » La dernière greenie qui était passée par là avait déchanté quand tu lui avais présenté ces espèces de briques qu'on vous envoyait, et qui servait de bloc de savon. Et elle avait carrément baissé les bras quand tu lui avais expliqué qu'il y avait une pelle, juste là-bas, pour ramasser le plonk. Le rôle de torcheuse était certainement la tâche la plus disgracieuse du Labyrinthe, mais c'était aussi la plus calme, car personne ne venait vous déranger.
« Faut vraiment que je répète ça ? » Encore une fois, tu haussais les épaules, et dans une main tu tenais un pantalon ruisselant.
« Ça dépend, tu veux t'occuper de ça, pendant que je dois me lever pour aller le faire moi-même ? » Elle secoua négativement la tête et s'enfuit. Tu soupirais, parce que tu ne faisais que ça. Parler toute seule dans ton coin, ronchonner, nettoyer les vêtements des nanas du bloc, l'étendre, remettre les choses à leur place, aboyer sur les filles qui foutaient le bordel, et retourner à ta place.
Une Briqueton à qui tu avais demandé de bien vouloir réparer ta cuvette qui était trouée et rafistolée plusieurs dizaines de fois depuis le temps que tu l'avais, regarda en direction des portes du Labyrinthe.
« Elles rentrent. » « Je sais. » Elles rentraient toujours. Les héroïnes ne perdraient jamais une occasion d'être acclamée. Mais pour le moment, aucune d'elles n'avait prouvé qu'elles trouveraient un jour cette présumée sortie dont tout le monde parlait depuis deux ans.