S H A D O W ;
Le visage tourné vers le ciel, il profitait de la fraîcheur de la douce pluie de printemps que les nuages avaient portée jusque Denver. Depuis quelques temps, le soleil était brûlant. La chaleur insoutenable. Cette averse était une bénédiction disait sa mère, et ce n'est pas Law, du haut de ses quatre ans, qui allait la contredire. Curieux, il jeta un œil à celle qui lui avait donné la vie. Ses cheveux trempés par la pluie tombaient en une cascade de jais sur ses épaules graciles, et un sourire radieux illuminait son visage, d'habitude si triste et si pâle. Le bambin sourit à son tour, et finit par lâcher ses jeux pour crourir dans les jupes de la belle dame. Cette dernière l'attrapa au vol et le fit tourner en riant. Il ne l'avait jamais vu si heureuse, si belle. Non loin, un homme regardait, cigare au  coin des lèvres. Une épaisse fumée s'échappait de sa bouche et de son nez à chaque fois qu'il l'éloignait. Mêlé à la pluie, la fumée avait des airs de sataniste. Un enfant la regardait monter vers le ciel aux côtés de son père, visiblement peu décidé à se mouiller simplement par plaisir... Lui appréciait la chaleur et le soleil, et ne se plaignait que rarement de la brûlure des rayons ardents. Il n'avait jamais compris ce que tous reprochaient à cela ! Son regard oublia les volutes disparaissant dans le vent, et il se surprit à jalouser le garçonnet que sa mère dévorait des yeux, lui exprimant un amour inconditionnel qu'il ne se souvenait pas avoir lu dans ses prunelles lorsqu'il avait le même âge... La jalousie est un vilain défaut, lui avait-on dit. Mais il se moquait des on-dit, et ne jugeait que les faits. Son cœur saignait de voir tant d'amour offert à un autre, et même si il aimait son frère, il ne put s'empêcher de maudire sa naissance. Elle n'avait été que douleur pour ses parents. Ils l'avaient cru mort, mais le destin avait décidé de sauver sa vie et son âme. Etait-ce pour cette raison qu'ils l'aimaient plus que lui ? Pour cette raison que chacun de ses pas étaient hanté par d'autres, sécuriant ? Pour cette raison que chacune de ses réussites devenait un exploit ? Ce favoritisme le dépassait, et il n'avait jamais pu s'empêcher de voir le pire de cette histoire. Law n'était qu'un enfant, mais il sentait une ombre dans son cœur. Lorsqu'il croisa son regard sous la pluie, il comprit que cette ombre grandissait, et qu'il était le seul à la voir. Son frère se blottit contre la jeune femme, entourant son cou de ses petits bras, et posant sa tête sur son épaule. Elle lui embrassa le front, heureuse.

F I R E ;
Les flammes avalaient tout sur leur passage. Il ne restait rien des souvenirs des hommes, et beaucoup avaient payé de leur vie leur présence sur cette terre. Ravagé par le feu, elle ressemblait désormais à un immense désert de cendres. Une épaisse et dense fumée noire montait vers le ciel, et semblait protéger les rescapés d'autres représailles de l'astre Roi. La lumière avait percé la voûte et s'était abattue sur le monde, et à présent, elle n'était plus. Les ténèbres régnaient, et le paysage était calciné, perdu.
Il avait vu les boules de feu tomber. Il les avait prit pour des étoiles, ignorant la panique de ses parents dans son dos, et le regard de son frère posé sur lui. Fasciné, l'enfant était resté longtemps le nez collé contre la grande fenêtre du salon. C'était si beau, si inattendu. Il n'avait vu pareille chose, et pour lui, cela ne pouvait être que magique. Bercé par des histoires de fées et de mondes merveilleux, il était incapable de croire au drame et à la destruction. Il n'en connaissait pas même le sens... trop jeune pour assimiler ces mots et les comprendre. Il ne faisait que les entendre. Ses parents semblaient obsédés.
Douleur. Atrocité. Horreur. Mort. Désespoir. Ténèbres... Il avait cessé de compter combien de fois sa famille avait répété ces termes alors qu'ils se laissaient aller à la panique. Law avait été violemment retiré à sa contemplation par sa mère, dont les larmes noyait le visage, rougit par la peur, la tristesse et la chaleur ambiante. Ses lourdes boucles avaient la douceur de la soie lorsque l'enfant glissa ses doigts dedans. Leur parfum le rassura et il ferma les yeux pour oublier. Les battements réguliers de son cœur semblèrent calmer la jeune femme, qui respirait plus doucement et caressait son fils avec plus de douceur. Elle avait cessé de trembler, mais la peur persistait. Son mari la guidait dans le noir, leur premier né accroché à sa main. Ils feraient tout pour leurs enfants, même si cela signifiait tout abandonner. Les sauver était devenu le principal but, et aucun d'eux ne le comprenait vraiment. Beaucoup de catastrophes étaient déjà survenues sur terre ces dernières années... Mais celle-ci était d'une ampleur que personne ne pouvait imaginer.

F E A R L E S S ;
Couchée dans le fauteuil, elle fixait sans le voir l'écran noir de la télévision éteinte. Cela faisait plusieurs jours déjà, et cela risquait de durer encore longtemps... Elle s'en moquait un peu, en réalité, les informations diffusés semblaient toutes se ressembler : encore des morts retrouvés dans les cendres du monde, même après cinq longues années de silence, encore des campagne du WICKED pour rassurer les civils, encore des jeux idiots qui semblaient dater de plusieurs décennies, reprogrammées pour faire oublier la peur et le désespoir aux gens...
Un long soupir s'échapper de ses lèvres à demi closes, et elle laissa aller ses pensées vers le jardinet de la maison. Derrière la fenêtre, elle apercevait son plus jeune fils jouant dans le jardin. Cette partie de la ville avait été épargnée, et elle était encore alimentée en eau et électricité, une aubaine pour la famille, qui avait dû se battre avec trois autres pour obtenir ce bien plus que primordial à leur survie.
Law était un enfant sage et il n'avait jamais désobéi. Plutôt solitaire, il ne semblait cependant pas s'en formalisé, et appréciait la compagnie du vent, des arbres et de la Liberté. Les premiers temps, ses parents avaient tenté de le garder enfermer, afin d'éviter de l'exposer aux dangers extérieurs... Le garçonnet avait suivi ces instructions, mais il s'était vite avéré que cela le rendait malheureux. Il passait des journées entières derrière les fenêtres, à fixer la rue vide et le ciel brumeux... Il semblait fasciné et désespéré, un enfant au sombre et morne quotidien.
Après un an à regarder leur fils s'éteindre, ses parents avaient décidé de lever la règle. Les premiers pas de leur enfant à l'extérieur, et le sourire collé à ses lèvres leur avait fait vite comprendre que ce choix était le bon. Il avait vu l'amour et le bonheur dans les yeux de Law et cela avait réchauffé leurs cœurs.

Lorsqu'il s'était couché sur l'herbe, son regard émerveillé s'était perdu dans le ciel, d'un bleu nouveau et il avait oublié de respirer, l'espace d'un instant. Le soleil brillait avec intensité, et Law ne pouvait s'empêcher d'être fasciné par cette énorme boule de feu, qui à elle seule avait réduit à néant en quelques heures une bonne partie de l'empire parfait que les humains avaient mit des siècles à construire.
Il sourit à la voûte et à son Roi, heureux de pouvoir enfin profiter de ses rayons brûlants ailleurs que derrière une vitre. Contrairement à sa famille, et à d'autres, il n'avait jamais eut peur de disparaître, ou peur de la folie, de la souffrance. Il avait seulement peur de voir le soleil s'éteindre, et plonger la terre dans les ténèbres.

C R Y ;
Les pleurs de sa sœur le tirèrent de son sommeil, et il se leva précipitamment. Lorsqu'il arriva dans la chambre, il la vit se débattre contre un fantôme dans son lit, et courut la calmer. Ses yeux s'ouvrirent sur le visage de Law, et ce regard qu'elle croisa sembla immédiatement la rassurer. Doucement, le jeune homme se glissa contre elle et la serra contre lui avec amour. Encore sous le choc, elle ne contrôlait pas les tremblements de son corps, et même si elle ne faisait plus aucun bruit, un torrent de larmes brûlantes continuait à noyer son visage poupin. Ces larmes étaient comme de l'acide jeté à vif sur le cœur de Law, et il ferma les yeux pour oublier, se concentrant sur les seuls battements de celui de sa petite sœur, qui perdaient lentement leur intensité.

Elle finit par s'endormir dans ses bras, bercée par ses tendres fredonnements, et la sensation d'être en sécurité. Depuis sa naissance, cinq années plus tôt, elle était une enfant joyeuse et aimée. Law était sans doute la personne qu'elle aimait le plus sur terre, et il était le seul à parvenir à contrôler les cauchemars de la petite. L'année passée, elle avait désiré le suivre dans un de ses périples à travers la ville, et elle avait fait la désagréable rencontre d'un vieillard décharné, dont la peau était brûlée, dévorée par les flammes. Morte de peur, elle avait hurlé son désespoir au monde pendant une heure avant que Law ne puisse la faire taire. Depuis ce jour, il se sentait coupable des souffrances mentales de sa cadette, et il prenait soin de toujours être présent pour elle, quels que soient les circonstances. Elle était née après la catastrophe, et sa chevelure de feu lui rappelait les rayons ardents de son soleil adoré. Il lui semblait que cette enfant était un cadeau, offert pour lui, et Law prenait grand soin de le chérir avec une passion non dissimulée, et parfois vue avec inquiétude par ses parents et son aîné, qui n'avait cessé de s'éloigner de lui avec le temps..

B U R N ;
Lentement, il craqua une troisième allumette pour la regarder se consumer entre ses doigts, jusqu'à lui brûler la peau, une sensation qui ne lui arrachait qu'une faible douleur. Il accueillait cette dernière avec impatience et son corps entier était parcouru d'un doux frisson de bien-être.
La colère grondait en son cœur, et il entendait encore la voix de son frère lui hurlant sa folie. Law avait détesté ses mots, et maudit son frère. Il n'avait jamais été présent, ne l'avait jamais regardé avec amour comme lui l'avait fait. Et il avait compris, enfin. A ses yeux, il était un monstre né, anormal, ténébreux, et fou. Rongé par une folie passionnée qu'il avait aimé qualifier de malsaine. Le jeune homme l'avait haït des milliers de fois depuis le jour de cette révélation. Ses parents n'étaient au courant de rien. Depuis qu'ils avaient rejoint le WICKED, ils éteint peu présents, et leur rôle semblait n'être plus que robots au service de la nouvelle société salvatrice du monde.
Lawrence n'avait jamais approuvé cette vie qu'ils avaient choisi, et il avait juré de ne jamais choisir la même. Il désirait préserver sa liberté, quoi qu'il en coûte. Sa liberté, et celle de sa sœur, qui comptait plus que tout pour lui.

Une dixième allumette vint brûler sa peau et Law eut une grimace. Il la lâcha sous le coup de la couleur, et elle vint mourir à ses pieds. Un soupir lui échappa et il laissa tomber la boîte pleine dans l'herbe. Au loin, le rire de sa sœur lui parvint, lu arrachant un sourire de bonheur. Il avait prit sa décision, et il ne changerait pas d'avis.

S C R E A M ;
Le virus était violent, rapide, et sans merci. Toute personne exposée risquait la folie. Toute personne exposée risquait la mort. Law relut ces instructions mille fois avant de laisser les flammes de la cheminée lécher le papier. Il le regarder disparaître peu à peu et se tourna vers sa mère, allongée à ses côtés. Son père était à la cuisine, et il préparait le repas en silence. Une chose rare pour cet homme qui appréciait habituellement pouvoir compter sur un bruit de fond pour ne pas permettre à ses lourdes pensées de résonner dans sa tête.
Law caressa aurait voulut caresser la joue de sa mère endormie, mais le risque d'être contaminé le taraudait depuis plusieurs jours. Ses parents étaient atteints de la Braise, et même si ils faisaient tout pour le cacher, il le savait.
Il se leva sans bruits et parcourut les quelques mètres qui le séparaient de sa chambre. Dans son lit, sa sœur s'était endormie, un livre à la main. Il la regarda, innocente et naïve, paisiblement perdue dans un sommeil profond et dénué de cauchemars. Law s'approcha d'elle, lui retira l'ouvrage et lui embrassa le front avec amour. Plus tard, son réveil serait rude, et elle avait besoin de se reposer.

Le moment venu, il pria au soleil de lui pardonner, et il craqua une dernière allumette. Accroché à son bras, la fillette pleurait en silence, contemplant avec une horreur dissimulée l'oeuvre de la folie de la personne qu'elle aimait le plus au monde.
Law lâcha son arme dans le vide et recula vivement, sa sœur contre lui. Lorsqu'il remarqua ses larmes, il la prit dans ses bras et la serra fort contre son cœur, calant sa tête contre son cou afin qu'elle ne voit pas les flammes réduire en cendres son passé.
Des cris de douleur s'élevaient de la maison en feu, et Lawrence les écouta jusqu'à ce qu'ils ne s'agissent plus que de hurlements fantômes, et que la mort les ai pris. Il avait prit soin de boucher les oreilles de l'enfant pendant tout le temps que dura l'horreur. Puis, lentement, il tourna les talons, et l'ombre enveloppa la silhouette d'un jeune homme anéanti, tenant à bout de bras une fillette tremblante, comme si il s'agissait d'une ancre. Au loin, on aurait dit un ange prisonnier des bras d'un démon.

I N S A N E ;
Le bruit métallique de la porte tire Law de son sommeil. Il se lève d'un seul coup, prêt à bondir. Lorsqu'il reconnaît la gracile silhouette de sa sœur, il se précipite sur elle, fou de joie. Des larmes viennent se perdre dans les longs cheveux de braise de la fillette, et il reste longtemps à sangloter contre elle, lui hurlant de lui pardonner. La petite sait qu'il n'a pas eut le choix. Elle sait aussi qu'elle ne cessera jamais de l'aimer, et qu'il est déjà tout pardonné, même si elle n'a encore aucune idée de ce qu'elle doit pardonner...
L'amour irradie dans la pièce, et le gardien brise le lien en tirant en arrière la petite. A son tour, elle pleure avec ce silence de marbre que lui a enseigné Law, et il regarde s'éloigner de lui la seule part de lumière qu'il lui reste en ce monde. Avant de totalement disparaître derrière la porte, le jeune homme aperçoit ses longs cheveux de feu rebondir dans la précipitation, et se laisse soudain aller à la folie.

Il hurle son désespoir, la perte de sa liberté, celle de sa sœur, qu'il a volontairement offerte au diable. Allongé face contre terre, il laisse la froideur du marbre envahir son cœur, et ses larmes viennent peu à peu noyer ses joues rougies par la fureur et la tristesse. Son regard se perd dans le vide, et il ne songe plus qu'à disparaître. Comme auparavant, il n'en a aucune peur. Après presque un an dans ce trou à rats, il le désire même plus que tout. Sans personne qui l'attend à la sortie, à quoi bon continuer à respirer ? Dehors, le danger rôde. La Braise s'affirme et se propage, l'amour se consume sous les coups répétés de la folie, et la fin guette les hommes.

F R E E D O M ;
Law sert la main de son nouveau patron, un sourire sur les lèvres et le cœur lourd. Il a accepté de rejoindre le WICKED seulement pour deux raisons : retrouver sa liberté, et pouvoir continuer à voir sa sœur.  
Après deux longues années à pourrir en prison pour le meurtre de sa famille quasi-entière, il a été libéré grâce au WICKED, en remerciement – soit-disant - d'avoir pu fournir un sujet d'étude de qualité. Lui se moque des raisons, il ne voit que les privilèges, et même si il hait du plus profond de son être cette institution, il n'a que faire de ses émotions, lorsque sa lumière brille à quelques pas.
A vingt ans, Law est une des plus jeunes recrues de l'entreprise, et les doutes subsistent quant à sa bonne volonté et le choix du patron. Il prend soin d'ignorer les regards perdus sur lui, et ne parle jamais. La seule chose qui semble le tirer de son silence est cette opération dans laquelle sa sœur a été engagée, et qu'il veut connaître plus en détails... Le Labyrinthe.

O B S E S S I O N ;
L'opération a été lancée, et elle se trouve maintenant entre les mains du destin, et les siennes. Fier, Law rit avec ses collègues autour d'un verre. C'est devenu une habitude, passer du temps avec ses compagnons de fortune. Le WICKED est la seule famille qui lui reste, et il aime à croire la seule qu'il a jamais vraiment eut. Là-bas, il n'est ni fou, ni monstre, ni meurtrier. Tous le sont, et personne ne l'est. Lawrence a mit plusieurs mois à se faire à cette nouvelle vie, mais au fur et à mesure du temps, il a compris les buts de l'institution, leur rôle, leur importance. Conditionné par son travail au quotidien dans l'entreprise, il sait aujourd'hui où il doit être.
Son rôle n'a cessé de devenir plus important au fil des années, et depuis peu, il est le porte parole des siens, le défenseur de la vérité et des idéaux du WICKED. Il comprend ses parents, et leur obsession d'aller travailler chaque jour, car cette obsession est devenue la sienne.
Il n'a rien, rien en dehors du WICKED et celui lui suffit à survivre.

Son rire se répercute dans la pièce, et il jette un œil aux écrans qui l'entourent. Il sait qu'elle est là, quelque part, et il la cherche des yeux chaque jour. Sa plus grande peur n'est pas de la voir succomber au Labyrinthe, mais de savoir qu'elle le hait de toute son âme pour ce qu'il lui a fait, ce qu'il a fait à leurs parents, à leur frère...
Malheureusement, il ne pourra jamais savoir. Son cœur est en cendres depuis qu'elle a disparu, et chaque jour que le soleil brûle son âme, il se souvient de ce jour funèbre où il a décidé de laisser le feu dicter sa vie. Il n'a qu'un seul regret, une seule déception : celle de n'être pas parvenue à se laisser brûler avec les autres, et d'avoir offert à sa sœur une vie animale, de cobaye enchaîné, et d'âme emprisonnée, lorsque lui même tient à sa liberté plus qu'à toute autre chose.

Noyé dans sa conviction, il tente d'oublier sa culpabilité et ses folies en se vouant corps et âme au WICKED, désireux de savoir que ses choix étaient les bons, lorsqu'au plus profond de lui-même, il sait que ce n'est que mensonge. Encore et encore.