cause nothing grows when it is dark. Le monde était déjà drapé des ténèbres de la nuit. Un vent glacial s'abattait sur l'horizon, faisant ployer le peuplier séculaire, dans l'arrière-cour, crisser le tourniquet de son enfance grise, hurler des ombres myrteuses et éplorées. Et dans ce noir d'hiver se tenait Theodore, statique, à quelques mètres à peine de la porte. Il aimait pas partir de chez lui, le môme. Mais il aimait pas plus y retourner. Il soupira ; tentant vainement de déloger ce nœud qui lui obstruait la gorge. Du coin de l'œil, il distinguait la lumière jaune qui s'échappait entre deux pans de rideaux. Ses parents étaient encore debout.
Bagages sur le dos, il se détourna alors de l'entrée et contourna les murs, accédant au jardin. Il était pas prêt à affronter la discorde familiale. Il lui fallait un peu plus de temps, un peu de détente, un peu d'air. L'enfant-homme se laissa tomber sur les marches du petit perron, soupira derechef. Fouillant dans ses poches, il en tira un paquet de clopes amoché. Son doigt ripa sur la pierre, friction et étincelle ; et le papier s'embrasa comme son palpitant, à chaque fois. À chaque fois qu'il devait affronter ses démons. Il n'avait pas de visages, pas de formes particulières ; plutôt semblables à une caresse douloureuse, des perles obsidiennes corrompues qui roulaient le long des vallées de son visage, creusées par la fatigue, la consternation et la frustration. La frustration de ne rien faire. Il était là, toujours dans ce même néant obscur, à se tapisser les bronches de goudron et à s'embuer l'esprit de nicotine, son amour. Il observait le point incandescent se fondre dans de pâles rayons argentés. « Salut » Il avait pas besoin de se retourner pour savoir qu'il était là, tapi dans l'ombre, à attendre. Harry. D'une main, l'aîné dégagea son sac et invita le cadet à s'asseoir, lui offrant un petit sourire. Épaule contre épaule, ils restaient assis, sous leur bonne mère la lune, en silence. Pas besoin de mots, entre frères de cœur et de sang. Theodore appréhendait chaque départ, de peur de laisser un plus jeune, trop frêle, trop faible, à la merci d'un père obtus. Et il craignait chaque retour, espérant retrouver un Harry dans le même état que les semaines précédentes. Parce que c'était toujours comme ça, dans leur famille ; Theo était l'enfant prodigue, celui qui ramenait les bonnes notes depuis qu'il savait lire et écrire, celui à qui on promettait un avenir lumineux, dans les traces de leur si grand et illustre scientifique de père. Theodore était le cerveau. Mais Harry était tout le reste. Il était le combattant invisible que l'aîné ne deviendrait jamais, le soldat des coups et des cœurs, celui qui résistait à tout sans broncher, celui qui vivait, muré dans le silence, puisant sa force dans sa simple volonté. Il était la force de caractère, la matière noire qui forgeait sa propre galaxie. Il était un infini bafoué à lui seul et Theo était aveugle. Aveugle, sourd et muet. Au fond, il savait, il savait tout. Mais c'était trop tordu, trop douloureux pour daigner l'admettre ; alors il jouait au frère présent et indigne, trop docile pour s'imposer, un ruban de soie sur les pupilles, altérant la réalité. Mais la rage sommeillait dans ses entrailles et faisait vibrer sa cage de chair et d'os. Il était en colère contre lui-même, frustré de ne pas avoir cette force de s'interposer. Il se sentait coupable, avait le sentiment que c'étaient ses mains qui saignaient la peau ecchymosée du plus jeune.
Et il se cachait derrière une utopie illusoire, derrière l'excuse que le manège finirait par s'arrêter, et qu'ils s'en sortiraient tous, comme si de rien n'était.
Il le fallait.


i've got this place that i've filled with empty space. Ses paumes étaient moites et il tentait de conserver une certaine contenance en faisant des allers et retour sur ses cuisses. Le stress l'avait submergé peu de temps avant d'entrer dans cette salle de blanc immaculé. Mais le plus difficile était de soutenir le regard du recruteur face à lui. Ne pas fléchir devant son regard d'acier. Il semblait le juger de haut en bas, évaluant à plusieurs reprises son dossier. Mais sa voix résonnait plus aimable et douce que sa carrure de colosse ne le laissait transparaître, et la pression retomba d'un cran. Le quarantenaire l'interrogea sur son parcours professionnel, sur sa situation mariale et civile, mais surtout, sur ses projets, ses ambitions, ses rêves. Et le petit Theodore en débordait. Les chimères dégoulinaient de sa carcasse comme un jus étincelant, un peu trop naïf pour un monde si dur et cruel, mais pourtant, il s'accrochait autant qu'il pouvait à l'espérance. À l'idée d'un avenir meilleur. Et surtout à la pensée qu'il pouvait participer à cet accomplissement, qu'il pouvait inscrire son nom dans l'histoire, et aider l'organisation à vaincre cette terrible erreur humaine qui coûterait leur vie à tous, s'ils n'agissaient pas. Ses affinités pour les sciences et son esprit utopiste l'avaient poussé à s'engager dans des études scientifiques, choisissant la microbiologie et notamment la virologie. Cette voie lui rappelait son père, qui déclamait, fier, que son fils serait le prochain prix Nobel. Alors Theodore hochait la tête, l'air contrit. Il ne serait pas son père. Il serait un scientifique, petit laborantin, mais se démarquerait de l'enflure ; apprendrait des leçons que la vie lui a enseignées. Il vivrait en harmonie avec sa part humaine, non pas comme le monstre dont ils s'étaient enfin libérés, Harry et lui. Parce qu'on ne sépare deux frères comme on déchire une feuille de papier. C'est ensemble qu'ils ont parcouru le grand étang bleu jusqu'au États-Unis. Et c'est ensemble qu'ils poursuivront.
Les questions fusaient toujours, un peu plus incisives, un peu plus précises à chaque fois. Et Theodore répondait dans la foulée, l'inflexion de sa voix, teintée de son accent natal, se faisant plus assurée à chaque parole prononcée. Il s'emportait dans de grands élans, s'exprimait avec une éloquence qu'il ne se connaissait pas. Il était prêt à tout pour ce poste. Et l'air impassible du recruteur ne l'aidait pas particulièrement à déterminer si oui ou non, il était sur le bon chemin. Lorsque, enfin, il conclut sa dernière réponse, le bureau exigu retomba dans le silence. Le jeune homme mordit sa lèvre inférieure, attendant la sentence finale. Puis, l'homme sourit.
« Bienvenue au WICKED. »
Theodore sortit, la mine soulagée et heureux. Il ne pouvait empêcher un sourire de naître sur ses lèvres alors qu'il retenait la porte pour une jeune femme, élancée, à la chevelure blonde retombant sur ses épaules, qui le transperça de ses yeux océans. Une paire de prunelles qu'il ne pensait alors, jamais devoir croiser jusqu'à sa perte.


after my meets in the dead night, i keep on praying i see the light. Il se contentait de l'observer. De jeter un regard inquisiteur de part et d'autre de son corps. Il lui en voulait, terriblement. En un clin d'œil, d'un seul geste, d'une seule erreur, elle avait réussi à balayer tout ce pourquoi il s'était acharné de si longues années durant. En une fausse manipulation, elle avait réduit sa vie à un sous-état misérable, une loque instable, une bombe à retardement, qui finirait un jour par imploser. Et pour l'heure, il se contentait de mourir à petit feu, prétendant vouloir survivre alors que des élans de pensées sombres l'envahissaient par vagues et le submergeaient jusqu'à ce qu'il ne pense plus qu'à en finir.
Mais il pouvait pas.
Louise n'avait jamais été aussi calme qu'à ce moment-ci, endormie, recroquevillée à même le sol, sous ce qui semble être les vestiges d'une maisonnée détruite par les éruptions solaires. C'était pas grand chose, comme abris. Ça risquait même de leur tomber sur la gueule avant qu'ils puissent faire quoi que ce soit. Et ça stoppait en rien l'air glacial des nuits désertiques qui s'insinuait partout. Mais c'était déjà ça, c'était déjà mieux que rien, mieux que certaines nuits précédentes, passées au beau milieu d'une dune, à espérer de tout leur cœur qu'ils ne se feraient ni frappés par la foudre, ni raflés par des fondus au bout du rouleau aux tendances cannibales. Et il ne pouvait interdire constamment à son ancienne collègue de faire une pause. Lui aussi était las de cette traversée interminable. Et pour quoi ? Pour d'autres ruines.
Adossé contre l'un des murs, il renversa la tête et ferma les yeux, inspira une grande goulée d'air sablonneux. Il sentait bien, Theo, que ça divaguait au-dedans. Il était parfaitement conscient que la braise s'animait et incendiait des cendres de malheur dans son être ; il était même persuadé de voir l'évolution du poison, parcourant les entrelacs bleutés de ses veines sous sa peau diaphane. En connaisseur de la chose, il se qualifiait atteint du premier stade, celui qui rend irascible, irritable, instable. Il joue à l'ado rebelle qu'il n'a jamais été. Et il se battait contre lui-même, contre de nouveaux démons. Il essayait autant qu'il le pouvait de garder le contrôle de son corps et de son esprit. Il voulait rester lucide, il le devait. Pour lui, pour elle, pour eux. Du binôme, c'était, pour le moment, le plus raisonné ; faut dire que la blonde et son visage de poupée s'effritaient un peu plus à chaque lever du jour. Et il avait beau détester son erreur, son geste, il pouvait pas simplement l'abandonner là, sur le bas côté, et partir vers l'inconnu, affronter les terres arides et hostiles, seul. Parce qu'après Louise, qu'est-ce qui lui restait ? Il avait plus rien, plus personne. Plus de job, plus de foyer. Plus de frère. Son poing se crispa en y pensant. La belle ironie. Les deux frères qui ont tout quitté, pour finalement crever à petit feu, par pallier, de façon chronique, se meurtrir de démence et se jouer de faux semblants. Il lâcha un éclat de rire mauvais, brisant le silence nocturne. Une histoire de gène de prédisposition, sans doute. Famille pourrie jusqu'à la moelle, autant jouer le tout pour le tout, non ? « Tu te mets à rire comme un fondu sénile, j'crois que t'empire, mon vieux. » qu'elle marmonna, dans son demi-sommeil. Theodore coula un regard sur sa partenaire de route.
« Putain, Louise, j'suis véritablement obligé d'attendre que tu sois au bout pour t'achever ? » Un autre rire s'éleva, de la gorge de l'autre, cette fois-ci et l'ancien laborantin expira un énième soupir de fatigue. C'était peut-être pas la meilleure des caches, ni la plus belle situation, mais elle était là, lui aussi, ils étaient deux, et c'était déjà pas mal, comme début.