Le feu avait tout ravagé. Cultures, terres, rêves et promesses. La colère du soleil avait puni l’humanité pour ses décennies de maltraitance sur cette Terre qui fut jadis leur jardin d’Eden. Finie l’ère de la technologie, de l’agriculture intensive, de la société de consommation. Des millions de vies furent balayées en quelques secondes, des millions d’autres les suivirent. L’on décriait les risques de fonte des glaces depuis des années mais personne ne semblait s’en soucier. Tout cela leur paraissait si lointain, si loin de leurs préoccupations quotidiennes. Ainsi, de nombreuses régions furent englouties par les flots - atlantiques modernes, tandis que d’autres devinrent des déserts. L’air était devenu brûlant, le vent ardent. Que restait-il aux hommes, si ce n’est la survie et l’espoir nouveau que représentait le WICKED ?
La Finlande, à l’instar du reste des pays du grand nord, avait connu bien des changements depuis les éruptions solaires. Exit les grands plateaux enneigés, les luges et les cheminées trop souvent allumées. L’hiver qui régnait en maître avait tout simplement disparu du jour au lendemain. Et avec le fracas de son départ, de nombreux changements furent opérés. La surélévation du nouveau de la mer, combinée à l’importante fonte des neiges, transformèrent la majorité du pays en un archipel d’îles montagneuses ou marécageuses. Néanmoins, contrairement aux latitudes inférieures, le réchauffement avait pris la forme d’un climat tempéré des plus cléments. Une aubaine pour les survivants, si bien que les quelques insulaires furent, quelques années plus tard, rejoints par une horde de rescapés sous l’impulsion de la toute nouvelle organisation, celle du dernier espoir, le WICKED. Regrettable qu’ils apportèrent avec eux la Braise, ce fléau dont l’océan les avait jusqu’alors protégés.


TRANSMISSION A
Ses jambes se balancent d’avant en arrière tandis que son petit corps demeure patiemment assis sur cette chaise en plastique au bleu décoloré. Menus poings posés sur son jean, il attend, dans un silence complet. Difficile de résister à l’envie de se mordiller l’intérieur de joues tandis qu’il tend l’oreille pour percevoir des bribes de conversations au travers  cette porte entrebâillée qui lui fait face. Depuis quelques minutes désormais, il a renoncé à la contemplation de ce carrelage vieilli dont les imperfections font écho à sa caboche mal assurée. La curiosité est un bien vilain défaut, lui enseignera-t-on. Pourtant, du haut de ses fragiles quatre ans, il sait déjà qu’aujourd’hui, c’est lui le sujet de toute l’attention, ce qui l’effraie bien plus que ne le flatte. Depuis sa position, il guette attentivement les paroles échangées par les trois interlocuteurs. « … Ses parents, hélas, n’ont pas survécu à cette tragédie. Les fondus étaient bien trop nombreux, même avec notre aide armée. » Il entend mais n’assimile pas, distrait par l’horrification sonore de la femme, dont les boucles brunes s’affolent au rythme du récit. « Nous pensons qu’il a besoin d’un environnement stable qui lui permettra de grandir à l’abri des traumatismes qu’il aurait pu vécu. Voilà pourquoi le WICKED a sollicité votre aide, madame. » Un silence pesant s’installe alors, insidieux mais tenace. « Votre époux, le docteur Crossley, nous a fait part de votre... incapacité à donner la vie. » L’homme laisse une pause, très rhétorique. « Considérez ce service rendu à notre organisation comme une nouvelle chance pour vous. Cet enfant a besoin de votre aide. Nous avons besoin de Viktor. » Le dit docteur se gratte alors la gorge, le regard sûrement posé sur les hésitations de sa conjointe.


TRANSMISSION Σ
Son attention est à son apogée alors que l’aiguille se faufile dans la chair endurcie par la congélation. C’est un geste répété des dizaines, peut-être des centaines de fois sur tous les matériaux que ses parents ont pu trouver. Cuir, bois, tissus, mousse et maintenant porc. Viktor apprécie ce cadeau d’anniversaire à sa juste valeur, il est heureux d’appliquer les enseignements de son père d’adoption. Ce dernier ne manque d’ailleurs pas une miette de l’habilité du garçon et quelque part, il ne peut qu’être fier de ce qu’ils ont accompli, ensemble, une véritable famille.  Le fumet de la tarte aux fruits rouges danse dans leurs narines, comme un rappel de toutes les attentions dont le blondinet fut la cible d’attention. Oh, bien sûr qu’au début ce ne fut pas si facile. Il y avait la barrière de la langue, son caractère très introverti, son deuil précoce. Pourtant, ils avaient là aussi surmonté cela ensemble et ont tissé des liens indéfectibles. Le docteur Crossley s’était finalement pris au jeu de l’affection et devant la curiosité grandissante de l’avorton, il finit par lui transmettre sa passion pour la médecine. Couic-couic, suivi du ciseau sur le plateau de chrome. Ils inspectent le travail avec un regard chirurgical, à la recherche de la moindre maladresse technique. Finalement le docteur ébouriffe les boucles blondes de Viktor. « Bien. Très bien même. On peut arrêter là pour aujourd’hui. Tu peux aller dans ta chambre. » Tous deux se tournent à l’unisson vers l’inconnue qui se tient silencieusement à  l'entrée du bureau, aux côtés de Mme Crossley, lèvres pincées, interdite. « A vrai dire, j’aurai besoin de lui. » Ses mots pourfendent l’air, aussi aiguisés que des lames de rasoir. A cet instant précis, elle faisait penser à une couleuvre comme celles qu’ils trouvaient parfois dans leur jardin. Ses yeux d’un vert froid balaie la pièce, avant de se poser sur l’innocence du garçon qui lui fait désormais face. « Mon garçon, le WICKED a besoin de ton aide. Le monde attend d’être sauvé. » Il  semble entendre un canular, quelque chose de bien trop gros pour quelqu’un d’aussi quelconque que lui. Pourtant, à entendre les protestations croissantes de sa mère, il sent que quelque chose se trame. L’air grave, il sonde cette intruse venue perturber le bonheur de leur foyer. « Docteur Crossley, madame, le WICKED vous remercie pour ces années de collaboration. Prenez ceci en guise de compensation. »  Sa mère lui tend les bras, hurlant désormais un désespoir net tandis que son mari dépose une main résignée sur son épaule. La femme en blouse blanche, feignant maladroitement une sympathie qui ne lui sied pas. Elle dépose une enveloppe sur la table de chevet du salon. Désormais, trois regards se portent simultanément sur lui. Tristesse, abandon, examen. Viktor.
La réconfortante odeur des fruits rouges lui chatouille le nez alors que la femme referme la porte sur son ancienne vie. « Nous allons accomplir de grandes choses, tu verras. »


TRANSMISSION Ω
Un crissement métallique assourdissant le tire de son sommeil de plomb. Il a la tête dans le brouillard, la langue engourdie et le visage marqué par la grille qui tapisse la cage dans laquelle il gît. Il tachycarde à mesure que la panique grimpe en lui. Ses mains tâtonnent autour de lui sans pour autant trouver ce qu’elles pourraient chercher. Il essaye de se relever, en vain. Le voilà à quatre pattes dans ce qui semble être un monte-charge. Autour de lui, des bidons, des caisses. WCKD, ici et là. Partout. Et déjà naît l’envie furieuse d’hurler à pleins poumons, pourtant le son se meurt à la barrière de ses lèvres. Il tourne et retourne dans sa cage comme un animal féroce mais le temps continuer son avancée en même temps que l’Ascension. Des secondes qui auraient bien pu être des minutes, des heures qui auraient pu passer pour une éternité. Et puis, dans un élan de lucidité, il renonce à lutter contre la machination, gisant désormais en position fœtale, attendant son sort sans réelle conviction. Bien trop engourdi pour s’occuper du harcèlement des questions qui heurtent son crâne déjà maltraité. Des larmes roulent sur ses joues sans qu’il ne sache la raison d’une telle frustration. Il reste longtemps dans cet état, jusqu’à ce que la Boîte ne finisse par ralentir. Des rouages jouent, le plafond s’ouvre. Il baigne dans la lumière, assis en tailleur, le regard neutre porté sur les jeunes hommes qui l’observent. « Salut Greenie, moi c’est Archy. Bienvenue au bloc ! Rien de cassé ? » Il comprend parfaitement ces mots, pourtant il lui est impossible de répondre quoique ce soit : il ne sait comment exprimer les idées qui lui viennent. Le mutisme devient son seul langage en attendant que ceci ne lui revienne, à l'instar de tout le reste. « … » Certains gloussent, d’autres le dévisagent. Leurs destins sont désormais liés.