L'espoir, la mort, la famille, l'avenir ...

Kisin était la divinité de la mythologie Maya que je préférais de tous. A la fois imprévisible et obscur, il représentait tous ces concepts qui me faisaient trembler des pieds à la tête. Créateur de tremblements de terre et gardien d'un monde sous-terrain attirant en son sein les défunts de notre monde, il était garant d'un équilibre entre la mort et les ténèbres. Déjà tout petit, j'étais très attaché à l'histoire de notre famille, surtut du côté de ma mère. L'héritage culturel et gastronomique de la famille de mon père, le secret des lasagnes et tagliatelles parfaites ne m'intéressaient guère tandis que les monuments tels que le Chichén Itzá et toute cette fascinante mythologie me faisaient tourner la tête. Je me rappelle que, lorsque nous étions encore petits Charlie et moi et avant la mort de papa, nous étions envoyés auprès de nos grands-parents mexicains sur les terres du Yucatan où nous nous aventurions en territoire inconnu au sein de la faune et la flore locale et que nous aimions tergiverser à l'ombre des arbres millénaires du paysage local. Charlie aimait chercher et trouver des petits cailloux "originaux" pour moi connaissant ma passion invétéré pour les roches de toute sorte tant qu'elles avaient une petite touche d'originalité. Je ne sais combien de pierres en tout genre j'ai pu exposer dans ma chambre au cours des ans mais certainement un demi-million. Maman prenait le soin d'en enlever ou plutôt en relacher lorsque je partais pour être sûre que ceux que j'allais amener n'allaient pas finir sur les meubles du salon ou en décoration dans les toilettes. Apparemment, j'étais le seul à apprécier contempler ces restes de l'humanité à la richesse aussi fournie que notre histoire. Qui sait ce que ces roches avaient bien pu vivre, quel genre de personnes ou divinités avaient-elles pu soutenir ? Parce que oui, en original total et complet, je croyais dur comme fer à l'existence de ces déités que je vénérais et dans le récit desquelles j'aimais me perdre. Il fallait aussi avouer que abuela avait le don pour raconter de belles histoires et nous tenir en haleine ma soeur et moi ... Ainsi, de toutes les "personnalités" de la mythologie maya, celle qui me marqua le plus resta celle des tremblements de terre et de la mort.

Fait surprenant lorsque l'on sait que rien ne me fait plus peur que l'obscurité totale et frôler la mort. Depuis ma naissance, je ne supporte pas d'être laissé seul dans le noir ainsi, même maintenant, je dors avec une source de lumière proche pour être sûr de ne pas perdre la raison. Selon moi, la folie jaillissait de l'obscurité pour nous saisir à la gorge et nous traîner à sa suite au coeur de la terre pour que nous rejoignions le peuple morbide de Kisin. J'avais vu des hommes et des femmes mourir qu'ils soient de notre famille ou de famille d'amis ou d'inconnus. Dans tous les cas, je me suis toujours senti visé, concerné et attristé par la perte d'un être humain et ce même s'il n'était pas réputé pour être le plus vénérable des saints. Alors autant vous dire qu'à la mort de notre père des griffes de la Braise redoutable, je n'ai su où me mettre ni que faire. La vie continuait malgré sa mort et pourtant, je n'ai jamais été aussi perdu. L'homme de la maison, c'était moi, j'avais d'ailleurs pris un petit boulot de livreur de journaux pour subsister aux besoins de la famille, le salaire de notre mère étant insuffisant pour palier à toutes nos dépenses. Je grandis trop vite, laissais derrière moi ces années insouciantes de l'enfance rythmées par la joie, les rires innocents et les mythes rocambolesques. Je maudissais Kisin pour avoir pris mon père et jetais toutes les pierres que j'avais conservé jusqu'à présent pour lui rendre hommage. Je devenais grand mais je ne savais ce que j'allais faire à l'avenir ...

Le futur semble incertain, étrange, effrayant et pourtant, il arrive un moment de votre vie où il vous frappe de plein fouet. Le monde des responsabilités et du sérieux d'une vie d'adulte vient frapper à votre porte, en particulier lorsque des évènements percutant et imprévisibles viennent à vous sans que vous n'ayez rien demandé. Je me souvienss encore de ce jour ... Je me souviens encore de toutes les recommandations sages que nous avaient fait nos parents de notre naissance à mes 14 ans et aux 9 ans de Charlie, âge auquel elle fut kidnappée. Jusqu'à ce moment là, je ne m'étais jamais encore intéressé au monde des adultes, à l'état et au dictat qu'il asseyait sur la ville que nous habitions. Nous étions certes privilégiés de vivre ici et je le savais mais je ne souhaitais pas quitter le monde de l'innocence ... pas trop vite en tout cas .... Seulement, voir le visage surpris et effrayé de Cha alors que j'entendais encore ma mère nous intimer de ne pas faire de frasques ou de nous limiter à l'école pour ne pas attirer l'attention sur nos résultats. Charlie, elle, n'en avait toujours fait qu'à sa tête ... tempétueuse et téméraire, elle n'en avait que faire des règles et je la chérissais. Je l'avais toujours protégée mais en ce jour funeste de sa disparition, une nouvelle page décisive de mes choix futurs se tournait.

Cela devait faire cinq jours ... à moins que une semaine et demie ne vienne de défiler en dehors des murs de notre modeste demeure . Je n'en savais rien. J'avais perdu la notion du temps plongé dans l'obscurité de ma chambre. Mes vieux démons, je les avais laissés sur le pas de la porte alors que j'étais rentré à la maison après avoir couru après des ennemis et kidnappeurs qui ne m'avaient laissé aucune chance de les rattraper. Ainsi j'avais éteint toute présence lumineuse, fermé mes volets de sorte à ce que le soleil ne vienne perturber mon deuil. J'avais même dressé ma couverture devant ma fenêtre pour être sûr de bien isoler la pièce et ainsi bercé par les illusions, hallucinations et rêveries, j'avais vécu en reclu de la société jusqu'à accepter le fait que nous n'étions plus que deux. Kisin me visitait, j'en étais persuadé. Il jouait avec mes neurones, mes nerfs et m'entrainait à le suivre. Alors certes, neuf jours sans manger, c'est long mais je continuais à boire. Il fallait dire qu'à force de pleurer, j'en perdais, de l'eau ! L'eau était donc la seule folie que je m'autorisais alors que j'alternais entre sommeil et demi-sommeil et même transe animée de contours de dépression. J'en avais oublié ma mère qui avait suivi le même chemin que moi et que j'entendais également pleurer de temps à autres dans la pièce à côté, persuadé qu'il s'agissait en fait des lamentations des morts émergeant à travers le sol de ma chambre, m'ouvrant les portes d'un enfer que je m'étais plusieurs fois figuré brulant et malsain. Lorsque j'étais sorti de ma chambre, j'étais chancelant. Mes yeux étaient injectés de sang et mon estomac criait littéralement famine. Mon premier réflexe fut d'aller réconforter maman qui avait l'air encore plus pitoyable que moi. Je me souvenais que j'étais sensé aller à l'école mais je venais d'ignorer cette tâche essentielle pendant plusieurs jours. Maman ne s'en était pas inquiété non plus puisqu'après tout elle avait perdu deux précieux éléments de sa vie. Son mari, puis sa fille. Alors qu'elle m'avait vu entrer, elle avait à nouveau souri. Peut-être avait-elle cru que j'avais moi aussi été kidnappé voire tué ... en tout cas, je sentis la vie revenir en elle, son corps se réchauffer et en l'amenant sur le pas de la porte pour respirer l'air chaud de notre ville, je l'avais serrée contre moi, pleurant une dernière fois et me promettant de ne plus jamais pleurer mais plutôt de faire tout ce qui était en mon pouvoir pour changer les choses. Ce jour-là, alors que je m'apprêtais à aller faire les courses, je promettais à ma mère de libérer Charlie.

Notre quotidien était devenu morne, silencieux et ce même si nous parlions et que je lui confiais mes projets. J'allais étudier, avec modération comme à mon habitude, mais suffisamment pour prétendre au poste de professeur de sport. Après tout, n'avais-je pas toujours été un jeune homme sportif aux muscles timides mais bel et bien présents ? Maman m'avait soutenue dans cette quête et en quelques années, j'obtins mon diplôme. Tout semblait revenir à la normale mais alors que j'avais commencé à officier en tant que professeur à l'école primaire du coin, tout allait encore une fois changer ...

J'avais vu ces phares clignotants, j'avais entendu les pneus crisser sur la chaussée, j'avais essayé de m'extirper de la carcasse de la voiture qui s'était refermée sur ma jambe droite pour protéger ma mère alors que nous volions suite à l'impact du choc. Puis la chute finale eut raison de mon esprit. Seule la voix rassurante de ma mère me tint compagnie pendant que l'on nous sauvait des restes flamboyants de la voiture que ma mère conduisait pourtant avec précaution. Seul son sourire apparaissait devant mes yeux alors que j'entendais des machines tilter à mes oreilles et lorsque je pris conscience de mon corps à nouveau, je savais que quelque chose n'allait pas. On s'afférait autour de moi, j'entendais des voix indécises et des humains courir de droite à gauche à la recherche d'un ustensile, d'une seringue pour me plonger à nouveau dans un sommeil profond. Cependant, avant de ce faire, mon pouls s'accélérant leur indiquait que je revenais à moi et le médecin généraliste se pencha vers moi pour me poser une seule question. Une question qui allait changer ma vie.

Je m'étais réveillé trois jours plus tard et sentait déjà le changement opérer en moi. Mon corps semblait accepter la nouvelle pièce greffée à mon corps mais l'on m'avait dit que le processus serait certainement long et que je risquais d'en sentir les effets secondaires plusieurs mois plus tard. En attendant, c'était ma tête qui me causait le plus de souffrances. Mon corps n'avait pas été épargné. Du pied à la tête, mon corps était lacéré, coupé, griffé, bleui et j'en passe ... Les infirmières et médecins avaient pris soin de moi et peu à peu, je retrouvais mes souvenirs, ma mémoire et les images des évènements tragiques s'étant produits plusieurs jours auparavant repassaient dans mes rêves les transformant en cauchemars ... Un jour, après une semaine de rééducation destinée à amadouer mon nouveau membre ultra-moderne que je sentais vivre au même titre que la jambe qui me restait, la question fatidique du sort de ma mère me vint à l'esprit. Comment avais-je pu l'oublier ? Je m'en voulais, je manquais de me taper dessus avec un marteau destiné à tester les réflexes des patients mais on me maitrisa bien vite. Une fois calmé, j'osais poser la question et la réponse ne manqua pas de me décoiffer. J'étais seul ... Je sentais l'injustice poindre de tous les côtés de la pièce dans laquelle je me trouvais, se moquant de moi. Un membre de plus de ma famille m'avait été enlevé par kisin ... Que lui avais-je donc fait pour qu'il s'acharne ainsi sur moi ? Je viens à me dire que peut-être je n'avais pas toujours fait les bons choix ...

Mêlée à la rééducation, la programmation fut ce qui m'occupa le plus l'esprit. En à peine quelques mois, je renouais avec ces outils informatiques que j'avais laissé de côté à la mort de mon père. Je réapprenais à pirater un système de protection banal et m'attaquait à plus gros. Ma haine pour le Wicked revint elle aussi m'attaquer alors que je repensais à ma soeur. Toujours prisonnière de leur piège sans limite, je voulais en savoir plus, je voulais me dresser face à l'impossible. Je fis mes preuves et fus bien vite contacté par cette institution secrète du Bras Droit qui, depuis quelques années, use de mes services pour un jour faire flancher le gouvernement et toutes ces catastrophes et malédictions qu'elle faisait s'abattre sur notre terre. La braise, le virus, l'enlèvement de jeunes à des fins indéterminées, tout ça c'était leur faute et ils n'étaient même pas foutus de trouver un remède à tout ça ... Cela faisait bien trop longtemps qu'ils imposaient leur vision des choses et moi, je me dressais face à leurs idées à ma façon. De jour j'étais un pauvre petit ingénieur informaticien à l'université du coin qui tentait de palier aux frais engendrés par la greffe de cette jambe bionique, de nuit j'étais l'ingénieur informaticien au service de ce que j'estimais être la meilleure chose qui me soit arrivée. Kisin allait enfin pouvoir me pardonner, m'absoudre et me prendre au sérieux ...